Déforestation : l’Union européenne recule pendant que la planète brûle

La COP 30 à Belém intervient dans un contexte alarmant. Le mois dernier, un rapport coordonné par plus de cent cinquante scientifiques a confirmé le franchissement du premier « point de bascule » planétaire : les récifs coralliens tropicaux sont désormais engagés sur une trajectoire quasi irréversible. Un tel basculement, inédit, marque une aggravation majeure de la crise environnementale mondiale. 

Plus inquiétant encore, l’Amazonie se rapprocherait elle aussi du point de bascule. Au-delà de 20 à 25 % de déforestation, des boucles de rétroaction transformeraient la forêt en savane sèche. Or ce taux atteint déjà 17 %, auxquels s'ajoutent 17 % de couvert forestier fortement dégradé. 

Un tel basculement libérerait d’immenses quantités de carbone, détruirait un foyer unique de biodiversité et assècherait durablement le continent en affaiblissant les rivières volantes qui transportent les pluies jusqu’aux Andes. C’est pourquoi Lula a fait de la lutte contre la déforestation une priorité de sa présidence et un objectif majeur de la COP 30. Mais malgré une décrue depuis l’ère Bolsonaro, la coupe continue : entre août 2024 et juillet 2025, 5 796 km² de forêts ont encore disparu, soit l’équivalent du département de l’Ain. Certaines zones d’Amazonie, autrefois puits de carbone, sont même devenues des sources nettes d’émissions. 

Cette dynamique dépasse largement le Brésil. En 2024, la perte de couvert forestier a atteint 30 millions d’hectares, soit la surface de l’Italie - un record depuis vingt ans - dont 6,7 millions pour les forêts primaires tropicales. Les incendies extrêmes de 2023-2024 ont fait chuter la capacité mondiale d’absorption du carbone des forêts à un quart de son niveau moyen. Malgré l’engagement pris à Glasgow en 2021 de « stopper et inverser » la déforestation d’ici 2030, le monde reste loin de l’objectif. 

Face à cette urgence, que fait l’Union européenne ? Longtemps en avance sur la lutte contre la déforestation, elle recule désormais à grande vitesse et sur tous les fronts. 2025 aura été une véritable annus horribilis pour la législation forestière européenne. 

En cause : la « majorité Venezuela » au Parlement, une alliance entre l’extrême droite et le Parti populaire européen (PPE), qui s’affranchit désormais de la coalition pro-européenne pour torpiller les textes environnementaux. C’est ce qui est arrivé au règlement sur la surveillance des forêts, qui devait instaurer un système de données géographiques forestières commun aux États membres et une surveillance scientifique renforcée. Le PPE a prétendu y voir une surcharge administrative. En réalité, il voulait bloquer un outil permettant à la Commission de suivre l'état des forêts en Europe, et n’a jamais cherché la voie du compromis pour sauver le texte. 

Ensuite, le règlement sur la déforestation (EUDR), déjà repoussé d’un an en 2024, a de nouveau été attaqué. Adopté en 2023, il complète les normes européennes sur la coupe illégale du bois en interdisant la mise sur le marché de produits issus de terres récemment déboisées, comme le soja ou le bœuf d’Amazonie. Alors que l’accord UE-Mercosur fait planer le risque d’un afflux de ces importations, préserver l’EUDR est d’autant plus crucial. 

Qu’importe. Sous prétexte de « simplification », devenu mot d’ordre à Bruxelles, les États membres et la majorité Venezuela ont réclamé une nouvelle dérogation d’un an et la création d’une catégorie de pays à « zéro risque », quasiment exemptée de contrôles. Mais une telle catégorie risquerait de permettre le blanchiment, via ces pays, de produits issus de la déforestation. Quant à la simplification, l’invoquer relève de la mauvaise foi. Les entreprises ont eu près de trois ans pour se préparer à l’EUDR - nombreuses déclarent déjà l’être - et la Commission a prévu de nombreuses flexibilités : déclarations groupées ou annuelles plutôt qu’à chaque envoi, simple géolocalisation pour les petits producteurs, aucun travail de vigilance pour les PME en bout de chaîne… 

Dernier recul : le délaissement des accords FLEGT-VPA, signés avec plusieurs États tropicaux pour lutter contre la coupe illégale. Ces accords, en place depuis 2009, ont amélioré la traçabilité du bois et renforcé la gouvernance locale des forêts. Le Ghana a rejoint l’Indonésie le 8 octobre comme deuxième pays au monde à obtenir sa certification d’export vers l’UE par un tel accord. Mais il paraît de moins en moins probable que d’autres y parviennent. La Commission juge trop encombrants ces accords exigeant un suivi et des investissements continus. Non satisfaite de l’annulation de celui avec le Cameroun à l’été 2025, elle envisage d’en abroger d’autres, notamment avec le Libéria, sur des bases bien moins solides. Mais en renonçant à ce modèle collaboratif, l’Union abandonnerait un instrument qui aide pourtant les pays producteurs à bâtir leurs propres capacités de gestion durable des forêts. 

Et c’est là l’enjeu majeur : la déforestation touche presque exclusivement les régions tropicales, tandis que les zones tempérées connaissent une légère afforestation. En affaiblissant son arsenal législatif et diplomatique, l’UE perd son influence là où se joue l’essentiel du combat et se prive, à l’heure de la COP 30, de fédérer une coalition de pays producteurs désireux de protéger les forêts et les peuples qui en vivent. Or un vide politique ne le reste jamais longtemps : il sera comblé par ceux qui veulent exploiter les forêts au profit des intérêts extractifs. 

Le Parlement européen doit se prononcer fin novembre sur la révision de l’EUDR, à l’issue de la COP 30. Belém peut et doit servir de point de bascule positif, en poussant l’UE à stopper le détricotage de ses textes forestiers et à renouer avec l’ambition qui fut la sienne. Ne pas saborder l’EUDR à l’aube de son entrée en application, maintenir les accords FLEGT-VPA : voilà les conditions pour que l’Europe retrouve son rôle moteur dans la lutte mondiale contre la déforestation - à un moment où, plus que jamais, la planète a besoin de ses forêts. 

Signataires

Nora Mebarek, députée européenne (S&D)
, Claire Fita, députée européenne (S&D), Pierre Jouvet, député européen (S&D) , François Kalfon, député européen (S&D) , Murielle Laurent, députée européenne (S&D) , Thomas Pellerin-Carlin, député européen (S&D), Emma Rafowicz, députée européenne (S&D), Chloé Ridel, députée européenne (S&D).

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13 novembre 2025